JETRO dans la presse

Quand les grandes entreprises japonaises reviennent au... Japon
par Arnaud Rodier


Le Figaro, 30 juin 2005 — Page 2 — Rubrique : Figaro économie - Enquête

La production industrielle du Japon a rechuté de 2,3 % en mai sur un mois après avoir progressé de 1,9 % en avril (chiffre révisé), a annoncé hier le ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie (Meti). Le recul du mois de mai est dû à un déclin de la production automobile (voitures et camions), des équipements électroniques et des PC. Selon l’enquête réalisée par le ministère auprès des entreprises manufacturières, la production industrielle devrait rebondir de 1,7 % en juin avant de céder 1,2 % en juillet. Les trois principaux constructeurs automobiles japonais, Toyota, Nissan et Honda, ont vu leur production fortement progresser en mai sur un an tandis que le quatrième et le cinquième, Mitsubishi Motors et Mazda, ont enregistré des reculs.

C’est un véritable pavé dans la mare qu’a lancé le gouvernement début juin, en publiant un livre blanc où il affirme : « Il est faux de dire que les industriels Japonais délocalisent massivement. » Et d’ajouter :« Ils ont repris conscience des mérites de l’environnement des affaires au Japon et commencent à y construire à nouveau des usines.»

S’agit-il d’une mise en garde à l’adresse des patrons japonais trop confiants dans le potentiel du marché chinois ? L’empire du Milieu est aujourd’hui le terrain d’assemblage d’un nombre croissant d’entreprises nippones qui réexportent le plus souvent leur production à l’étranger. Toutefois, le Japon vend moins en Chine (- 16,4 % en valeur au dernier trimestre de l’an dernier) et Tokyo redoute « que les sociétés japonaises aient davantage de difficultés à rentrer dans leurs frais ou qu’elles accusent des pertes de bénéfices à cause d’une accumulation des stocks ». En réalité, le Japon a peur que les laboratoires de recherche nippons partent s’installer en Chine. Plus de 11 % des firmes interrogées par les auteurs du livre blanc avouent y avoir installé des centres de développement, contre moins de 1 % il y a dix ans.

Qu’il soit ou non le résultat des admonestations gouvernementales, le mouvement de relocalisation est bel et bien amorcé. Les entreprises japonaises reviennent au Japon. Le Jetro (centre japonais du commerce extérieur) affirme que 49 % des entrepreneurs nippons ont l’intention d’augmenter leurs capacités de production au Japon dans les trois ans à venir. Près de 37 % d’entre eux comptent continuer d’investir pour au moins la maintenir au même niveau qu’aujourd’hui. Ils ne sont que 11 % à envisager de la réduire. Trois raisons expliquent ce retour en grâce de l’Archipel : la volonté de se rapprocher du marché local, la proximité de bons laboratoires de recherche et la facilité de se procurer des pièces détachées de précision.

Les secteurs de pointe sont les premiers concernés. Les fabricants d’appareils informatiques expliquent qu’ils pourront réduire leur temps de création par rapport à la Chine ou à Taïwan et seront mieux capables de s’adapter aux fluctuations de la demande. Les constructeurs d’appareils médicaux soulignent qu’une relocalisation leur permettra de produire plus vite des séries plus petites, de diminuer leurs stocks et de baisser leurs coûts. C’est cet argument que développent également les fabricants de pièces détachées en matière plastique, tandis que les spécialistes des produits dérivés de la chimie organique mettent en avant la nécessité de « traiter au Japon les demandes particulièrement exigeantes en qualité ou en délai ».

Ce qu’ils disent moins fort, c’est qu’en Chine le piratage fait des ravages. Une délégation d’hommes d’affaires et de représentants du gouvernement japonais s’est rendue à Pékin entre le 12 et le 16 juin dernier. Elle n’a pu que constater que la législation chinoise reste une passoire en matière de propriété intellectuelle et que toute idée de protection est un leurre. Le marché chinois des enregistrements audio et vidéo est à 90 % piraté. A Taïwan, il l’est à 50 %. En Corée du Sud et à Hongkong, ce taux retombe entre 10 % et 25 % selon les produits. Au Japon, les risques sont inférieurs à 10 %, environ comme aux Etats-Unis.

Pour accompagner le retour au bercail de ses entreprises, le gouvernement nippon a multiplié les « clusters », les regroupements par zones géographiques d’entreprises et d’universités chargés de« revitaliser » l’Archipel. Il compte à présent pas moins de dix-neuf projets disséminés sur l’ensemble du territoire. Mais, pour le moment, ils attirent surtout les start-up, les jeunes sociétés, spécialisées notamment dans la biotechnologie. En 2000, elles étaient 255. Fin 2004, on en dénombrait 464, selon la Japan Bioindustry Association. Le marché a littéralement explosé, passant de 300 000 millions de yens en 1990 (2,25 milliards d’euros) à près de 1 800 000 millions de yens (13,5 milliards d’euros) l’an dernier.

Mais le phénomène semble faire boule de neige. Les grands noms de l’industrie reviennent aussi. Canon, qui réalisait 42 % de sa production en dehors du Japon et consacrait aux délocalisations 80 % de ses dépenses d’investissements, va consacrer 5,7 milliards d’euros pour créer de nouvelles installations dans l’Archipel au cours des trois prochaines années. Hitachi a récemment annoncé un investissement de 85 milliards de yens (639 millions d’euros) pour construire une usine d’écrans plats au Japon. Sharp va débloquer 150 milliards de yens (1,1 milliard d’euros) pour y lancer une unité de production d’écransà cristaux liquides. Matsushita promet de suivre. Les municipalités,à commencer par celles de Nagoya, d’Osaka, de Yokohama, ouvrent grands leurs bras... et leurs bourses pour les séduire. L’Etat leur offrira plus de 15 milliards d’euros dans la recherche et le développement sur les domaines qu’il juge prioritaires : télécommunications, technologies de l’information, nanotechnologies, sciences de la vie.

Le Japon compte sur la reprise de la consommation et l’engouement de ses habitants pour les nouvelles techniques. Le marché des équipements ménagers numériques, téléviseurs à écran plat, DVD, appareils photos numériques, ne cesse de progresser. Et, fait remarquer Tsuyokshi Nakai, directeur général du Jetro à Paris, le produit intérieur brut de la région de Tokyo (1 045 milliards d’euros) dépasse celui de toute la Chine Le PIB du Kansai (454 milliards d’euros) est supérieur à celui de la Corée du Sud ! Les investisseurs individuels se montrent d’ailleurs optimistes en Bourse. Avec 35,4 millions de personnes recensées l’an dernier, ils n’ont jamais été aussi nombreux à y investir depuis neuf ans. Le gouvernement entend en profiter pour attirer les étrangers et réussir le pari lancé par le premier ministre, Junichiro Koizumi : doubler leurs investissements d’ici à 2006, à 10 854 milliards d’euros.

Mais, dans l’esprit des Japonais, relocalisation ne veut pas dire révolution industrielle. La majorité des entreprises qui reviennent dans l’Archipel le font par souci de maintenir l’équilibre entre la Chine, le Japon et le reste de l’Asie. Plus de 63 % d’entre elles disent souhaiter un partage bien compris dans l’ensemble de la région. Pas question de se replier. Il s’agit d’abord de faire en sorte que le pays garde chez lui les fleurons de son industrie. « La difficulté vous transforme en bijou » , dit un proverbe. L’adversité rend sage. Face à une croissance économique incertaine (+ 1,2 % au premier trimestre), le Japon veut retenir la leçon.

Un ténor des technologies de l’information

Le Japon domine largement le reste du monde dans les technologies de l’information et de la communication (NTIC), affirme le dernier rapport annuel du gouvernement. Il souligne ainsi que 62,3 % des Japonais sont connectés à Internet au foyer, dont les trois cinquièmes en haut débit.

Le pays compte 87 millions d’abonnés à des services de téléphonie mobile, dont plus de 30 millions sont clients de réseaux de troisième génération. La quasi-intégralité des utilisateurs de téléphones portables (93,4 %) s’en sert également pour échanger des données, consulter des sites, contre 14,8 % en Allemagne et 13,2 % en France. Les trois quarts des abonnés japonais possèdent un portable avec caméra vidéo. Près de la moitié des abonnés actuels en haut débit, précise en outre le rapport, envisagent de passer à la fibre optique, tandis que la télévision numérique terrestre (TNT) rencontre de son côté les faveurs d’un public qui en profite pour s’offrir un modèle dernier cri à écran plat, plasma ou LCD. Le gouvernement prévoit que 10 millions de foyers seront équipés pour la TNT mi-2006, 24 millions en 2008 et l’intégralité (48 millions) en 2011.

Les entreprises japonaises, ajoute le gouvernement, creusent plus particulièrement l’écart avec leurs concurrentes dans le développement et la vente de produits, composants et solutions liés aux secteurs des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Seul point noir au tableau, elles pècheraient encore dans le secteurs des logiciels et systèmes de sécurité.

Les investissements étrangers ont doublé

Alors que le Parlement a adopté hier une nouvelle loi sur les sociétés, destinée à faciliter les fusions et acquisitions, le gouvernement nippon a annoncé que les investissements directs étrangers au Japon avaient pratiquement doublé au cours de l’année 2004-2005 achevée le 31 mars par rapport à 2003-04 à 4 030 milliards de yens (30,41 milliards d’euros).

Les capitaux en provenance des Etats-Unis ont été six fois plus importants que l’année antérieure, à 2 620 milliards de yens, dont 2 540 milliards issus des secteurs des finances et de l’assurance. A l’inverse, les sociétés japonaises ont moins investi à l’étranger, descendant à leur plus bas niveau historique à 3 820 milliards de yens, en recul de 6,3 % sur un an.

Cette nouvelle loi sur les fusions-acquisitions laisse cependant les étrangers perplexes. Les chambres de commerce européenne et américaine à Tokyo déplorent ses contradictions. Elle « fait peu pour améliorer le gouvernement d’entreprise et la transparence, tout en autorisant des mesures défensives contre les prises de contrôle qui pourraient permettre aux dirigeants de sociétés d’abuser de la confiance des actionnaires », estiment les Américains.

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