JETRO dans la presse

Des tomates sous la « city » de Tokyo
par Arnaud Rodier


Le Figaro, 1er juin 2005 — Page 3— Rubrique : Figaro économie - Monde / France

Des salades et des tomates poussent depuis peu au sous-sol d’un immeuble en plein coeur du quartier financier de Tokyo. Nourries aux diodes électroluminescentes et aux lampes à sodium, une centaine de variétés de légumes ont été plantées pour prouver que le Japon peut se suffireà lui-même en matière d’alimentation.

L’idée est née dans le cerveau du patron de l’une des plus puissantes agences d’intérim nippone, Pasona Inc. Yasuyuki Nambu, c’est son nom, représente l’une des plus grosses fortunes de l’archipel. Il espère que sa ferme souterraine va susciter des vocations, notamment parmi les jeunes Japonais au chômage. Il n’a pas lésiné sur les moyens puisqu’il a investi 1,3 million d’euros dans l’opération. A la tête d’une entreprise qui réalise 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, il entend soutenir à sa manière le premier ministre Junichiro Koizumi, qui s’est engagé à développer le secteur agricole. Lui-même a tout fait avant de devenir riche : agent de sécurité, agent d’entretien, enseignant. A ses yeux, « l’éducation japonaise annihile totalement les individus ».

Des légumes sous la « city », ce n’est que l’un des aspects d’un Japon qui n’a pas fini de surprendre. La deuxième économie mondiale se traîne dans une croissance molle qui, selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et le FMI (Fonds monétaire international), ne devrait pas dépasser 1,5 % à 2 % en 2005 et 2006. Seule consolation, l’archipel semble sortir de la déflation qui le ronge depuis plus de sept ans. Les prix à la consommation en avril, hors produits périssables, ont reculé de 0,2 % par rapport au même mois de l’an dernier. « Je prévois que l’indice des prix atteindra zéro au cours du premier trimestre de l’an prochain », assure un analyste de Sumitomo Mitsui Asset Management.

Pas de quoi pavoiser, mais il en faut plus pour décourager les Japonais qui multiplient les initiatives dans les domaines où on les attend le moins. Kai, une entreprise de 800 personnes, vient de passer un accord avec le chef français Michel Bras, trois étoiles au guide Michelin, pour lancer une ligne de sept couteaux de cuisine haut de gamme qui porteront le nom du restaurateur. Inspirés du style japonais, montés à la main, ils seront vendus en France, en Grande-Bretagne, au Japon et aux Etats-Unis entre 220 et 360 euros pièce ! Des prix que Michel Bras justifie par le fait que « tel l’archer avec son arc, le samouraï avec son sabre, le cuisinier fait corps avec son couteau ».

Un autre Français, Pierre Hermé, connaît depuis huit ans un succès foudroyant avec ses collections de... pâtisseries ! « Une pâtisserie haute couture, printemps, été, automne, hiver, qui marche très bien dans un pays sensible au déroulement des saisons », expliquait la semaine dernière son directeur général Charles Znaty à l’occasion d’un colloque organisé par la chambre de commerce et d’industrie de Paris et le comité d’échanges franco-japonais. Il a ouvert à Tokyo, en 1998, un magasin agencé comme une boutique de joaillier avec des présentoirs en verre pour exposer ses gâteaux. Les Japonaises en raffolent.

Tout aussi étonnant est le parcours de Danielle Coiffet, conseiller du président pour la France de Toyo Shinyaku. Elle a réussi à imposer un extrait d’écorce de pin des Landes pour fabriquer une boisson énergétique qui, vendue avec succès au Japon, revient aujourd’hui en France chez les commerçants spécialisés dans les produits de l’archipel.

Au pays du Soleil-Levant, tout paraît possible, dans un sens comme dans l’autre. Il est loin le temps où, lorsque Shiseido s’est installé en Europe, « tout le monde croyait que les cosmétiques japonais rendaient la peau jaune », rappelle Yutaka Goto, directeur général du groupe chargé de la communication pour l’Europe.

A présent, le Japon dépasse les Etats-Unis en matière de dépôts de brevets, souligne avec fierté Tsuyokshi Nakai, directeur général du Jetro (centre japonais du commerce extérieur) à Paris.« L’investissement étranger n’est plus une menace, mais une occasion d’acquérir de nouvelles technologies, d’accélérer les réformes des entreprises et de créer des emplois. » Et d’ajouter que si l’archipel investit massivement en Chine, « de plus en plus d’entreprises nippones réinvestissent au Japon où l’on ne parle plus de délocalisations mais de relocalisations ». Le phénomène n’est pas encore un raz de marée, mais il existe. Et, surtout, renchérit Denis Tersen, directeur régional à la direction des relations économiques extérieures pour l’Ile-de-France : « Les Japonais savent parfaitement surveiller les contenus technologiques de leurs produits et contrôler leurs activités de recherche et de développement.»

En 2003, l’archipel a créé de toutes pièces 246 « centres d’excellence » , dans les sciences de la vie, la chimie, les matériaux, les technologies de l’information, et développé 10 centre régionaux d’innovation pour favoriser les relations entre les universités et l’industrie, écrit Michel Israël, conseiller pour la science et la technologie à l’ambassade de France à Tokyo, dans le dernier numéro de la revue Futuribles. Il s’agit de mieux « insérer les universités dans le tissu économique et social » et d’ « assouplir la mobilité des personnels au sein de l’université ». Ainsi, depuis le mois d’avril de l’an dernier, 30 000 personnes travaillant dans les universités nationales sont passées du statut de fonctionnaire à celui de personnel sous contrat à durée indéterminée. Un virage obligé dans la mesure où le pays risque de manquer d’étudiants.

Avec seulement 1,28 enfant par femme en âge de procréer, l’indice de fécondité de l’archipel est tombé en 2004 au niveau le plus bas jamais enregistré. L’âge du mariage ne cesse de reculer au Japon et de plus en plus de Japonaises refusent de fonder une famille de peur que ce soit un fardeau pour leur carrière et pour leurs finances. La famille royale, il est vrai, ne donne pas le bon exemple. La fille de l’empereur Akihito, la princesse Sayako, qui se mariera en novembre prochain, a 36 ans. Quant à la princesse Masako, épouse du prince héritier Naruhito, elle est sous la pression de l’opinion publique qui lui reproche de n’avoir qu’une fille et pas de fils après plus de dix ans de mariage. A tel point que le Japon envisage de modifier la loi sur la succession impériale afin d’autoriser une femme à monter sur le trône. Le pays prend l’affaire très au sérieux. Hiroshi Okuda, président du conseil d’administration de Toyota, figure même parmi les personnalités chargées de trancher la question.

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